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Des petites phrases de campagne à Mark Twain : la liberté de parole

 
 
Par E.M
 
 
 
 
"A Paris, quand je leur parle en français, les gens me regardent avec des yeux ronds. Je n'ai jamais réussi à obtenir que ces imbéciles comprennent leur propre langue."

Cette citation de Mark Twain nous est revenue la semaine dernière, tandis que la petite phrase de Claude Guéant sur les civilisations faisait son effet...et le buzz dans les médias. Peut-on dire tout et n'importe quoi sans mesurer les conséquences de ses propos ?
 
Le ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration (tout ça !) s'est fait une spécialité de la sortie médiatique qui embrase le débat. Les exemples sont multiples : des usagers du service public qui ne devraient pas porter de signes religieux, en passant par les deux tiers des échecs scolaires qui seraient l’échec d’enfants immigrés, la liste commence à s'allonger avec cette allusion aux civilisations...
Comme une réaction prévisible, du côté de la gauche on s'insurge. Un député dérapant à son tour en évoquant le nazisme. Scandale dans l'hémicycle.
 
 
 
Et l'on découvre pour notre part la notion de point Godwin : une théorie issue des discussions en ligne et selon laquelle un échange qui dure, peut amener à remplacer des arguments par des analogies extrêmes. L'exemple le plus courant consiste à comparer une idée du débat avec une opinion nazie, ou encore à traiter son interlocuteur de nazi. Cela vous rappelle quelque chose ? Il faut alors se résoudre à reconnaître l'échec de la discussion dont il ne sortira plus rien de pertinent.
Tandis qu'il semblerait que cette chronique se soit égarée, il est juste de dire que cette stratégie de la petite phrase est pratiquée aussi bien à gauche qu'à droite. Elle est une habile et sombre mécanique médiatique maintes fois répétée. Un jeu stratégique qui provoquera d'abord la polémique, suscitant par la suite réactions indignées et buzz médiatique.

"Les hommes croient penser sur les grandes questions politiques, et c'est ce qu'ils font. Mais ils pensent avec leur parti, pas indépendamment ; ils lisent sa littérature, mais pas celle de l'autre camp ; ils arrivent à des convictions, mais elles proviennent d'un point de vue partial et partiel du sujet en question et ne sont pas d'une grande valeur. Ils prolifèrent avec leur parti, ils ressentent avec leur parti, ils sont heureux dans l'estime de leur parti, et ils vont là où mènent le parti...".

Ce passage est extrait d'un recueil d'essais de Mark Twain, intitulé La liberté de parole. Puisqu'en réalité c'est de ce livre dont nous voulions vous parler.
Ce sont les éditions Payot Rivages qui ont publié ces textes parus dans divers journaux et livres entre 1867 et 1903.
 

 
L'auteur pointe du doigt les excès et les restrictions liés à la liberté de parole : il aborde tour à tour le mauvais usage qu'en fait la presse, l'habileté des politiques, le poids de l'opinion publique, les conséquences d'une liberté d'expression...
 
Ainsi dans le texte dénommé La Liberté de la presse, il montre sa défiance envers la presse qui écrit trop souvent des contrevérités causant des dommages préjudiciables. Il témoigne en connaissance de cause, ayant lui-même débuté comme journaliste : "il y a trop de liberté de la presse dans ce pays...en raison d'une absence totale d'invitation salutaire à la modération, les journaux sont devenus, à grande échelle, une malédiction nationale".

Plus loin on peut lire les conseils d'un sénateur à son secrétaire, au moment de rédiger une lettre en réponse à une question délicate : "y répondre en laissant planer le doute et de façon à les laisser un peu dans le noir".
Avec ce bouquin, on rit aussi beaucoup, Mark Twain maniant la satire avec justesse. 
On découvre un style qu'on ne lui connaissait pas dans Les aventures de Huckleberry Finn : un point de vue incisif, parfois grave. Mais c'est aussi souvent teinté d'humour et très actuel.
 
 
 
L'auteur américain est mort en 1910, tandis qu'il venait d'achever son immense autobiographie de 5000 pages.  Il avait pris soin d'en interdire sa publication avant 100 ans ! Se méfiait-il de sa liberté de parole et de ses conséquences ? Toujours est-il que l'ouvrage a été publié en novembre 2010, permettant à Mark Twain de s'exprimer librement sans que ses dires puissent lui causer préjudice.
 
 
 



15/02/2012
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