Aucun express

Edward Limonov : Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo

 

par E.M

 

 

 

 

Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo. Avec un tel nom sur la couverture, on ne peut que repartir de la librairie avec ce bouquin d'Edward Limonov sous le bras. Et il faut bien avouer que la biographie écrite par Emmanuel Carrère, y est surement pour quelque chose aussi. Parue à la rentrée littéraire de septembre, et sobrement intitulée Limonov, elle avait attisée notre curiosité pour cet auteur au vécu et à la personnalité troubles.

 

Ouvrier, homme de maison, écrivain branchouille, soldat en Serbie, candidat à la présidentielle 2012 en Russie, le type a roulé sa bosse d'Ukraine à Paris, en passant par Manhattan.

On avait envie de découvrir le style de cet écrivain, que certains considèrent comme un enfoiré (pour ne pas dire plus !), d'autres comme un héros. A moins que ce ne soit les deux à la fois.
 
 

 
En commençant la lecture, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un recueil de nouvelles. Cinq au total.
En entrée, on a droit à une salade niçoise. Premier texte dans lequel Limonov porte un regard cynique sur un rassemblement d'écrivains. Il est lui-même invité à ces journées de la littérature mondiale qui se déroulent sur la Côte d'Azur. 
"Il est étonnant de voir qu'en France aussi le papier appartient, sinon aux morts, du moins aux vieillards".
L'écrivain contraste avec le reste de sa profession. L'alcool et la rencontre d'une jeune femme lui rendent le séjour plus agréable.

 
Avec la seconde nouvelle, Ecrivain International, il décrit la vie quotidienne d'un écrivain. Une vie faite de bohème, mais aussi de précarité et d'incertitudes.
Et si les ouvriers peuvent recourir à la grêve dit-il, lui est bien impuissant. Au passage, il égratigne les maisons d'éditions qui se soucient peu de sa condition.
"C'est l'écrivain et non plus l'ouvrier le véritable opprimé dans cette civilisation, pensai-je avec tristesse. Des fenêtres de ma chambre du Marais, je peux voir des ouvriers gras et rougeauds construire patiemment le socialisme français, réparer une vieille maison. Je les envie."
 
 
Plus loin, on lit Mon lieutenant et East Side, West Side. Dans ces deux nouvelles, il évoque avec la même verve son rapport avec les femmes, objet du désir sexuel. Mais aussi l'injustice et les inégalités de deux mondes qui se cotôient, en nous entraînant tour à tour dans des quartiers aisés ou de classes moyennes, puis dans des quartiers très pauvres comme le South Bronx.
"Ta vie te semble morne, lecteur ? Un instant, et tu vas comprendre à quel point tu peux passer près de la guerre, de la mort et de la destruction. Et à quel point tu es impuissant."
 
 
Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo est le nom du livre. C'est aussi le nom du dernier texte.
Confrontant son expérience d'ouvrier en Union Soviétique, et son regard d'écrivain prolétaire (sic), il pointe du doigt l'appareil étatique et technocratique des Russes et des Français, qui empruntent les mêmes travers.

"Voilà qu'on nous bassine sans arrêt qu'on vit à l'ère de l'ordinateur, à l'ère de la révolution informatique. Quand on voit l'entrée de l'immeuble dans lequel j'habite, au dernier étage, rue de Turenne, on dirait pas...
De quelle révolution informatique vous causez quand le chauffage, véritable brontosaure, qui réchauffe mon gourbi rose, pompe l'électricité comme c'est pas permis, et fonctionne selon un système complètement archaïque...Au pays du goulag, oui, oui, on rigolerait bien. Dans les pays où il n'y a pas de goulag, on encule les gens en douce, par-derrière. Ah ! on est en train de m'enculer ? Qui est là ? Ah le Trésor Public.
On nous dit que la France doit relever la tête, devenir solidaire, que c'est la crise. On est en retard. En retard sur qui ou de quoi, j'ai du mal à comprendre. Etre solidaire..."
 
 
 

 
Sur un ton résolument provocateur, il décrit les conséquences de cette technocratie, comme une ode à la corruption.
"En Union Soviétique, en tout cas quand j'y vivais, la corruption était tout à fait efficace et répandue, pour le bonheur du simple citoyen. Dans une démocratie, la vie est difficile pour le simple citoyen, car les députés et autres chefs ont peur de l'aider, en échange de quelque "cadeau". La presse finit toujours par tout savoir...Alors qu'en fait la corruption est l'unique moyen pour lutter contre le côté inhumain de la loi. Je suis pour la corruption..."
 
 
C'est une bonne idée qu'a eue La Dilettante de rééditer ces textes d'Edward Limonov. Une littérature agréable et insolente. Filante entre les clairs et les obscurs. L'auteur ne prend aucun détour, parle cru, fait preuve de cynisme et nous entraîne dans ses histoires. On suit le sulfureux personnage avec un grand intérêt.

 
 
 
 


03/03/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour