Aucun express

Entretien avec un libraire

 

par E.M

 

 

 

 

En ce mois de septembre où la rentrée littéraire bat son plein, on avait envie de rencontrer une librairie indépendante. L'occasion d'aborder des sujets actuels : l'évolution des librairies traditionnelles, bouleversements du numérique, coups de coeur de la rentrée. Entretien avec la Librairie Georges.


 

 

 
Un siècle d'histoire
 
Cécile Bory nous accueille et nous raconte l'histoire de la librairie : "La librairie a été créée en 1904 à Bordeaux par mon arrière-grand-père". A l'origine bouquiniste-brocanteur, la librairie a évolué et a été transmise de génération en génération. Aujourd'hui la LIBRAIRIE GEORGES est une librairie générale, scolaire et universitaire.
Nous avons saisi l'occasion de déménager sur Talence en 1973. Il n'existait alors aucune librairie, ce qui n'était pas le cas en centre ville de Bordeaux où une librairie bien connue menait une concurrence difficile. D'autant plus qu'à cette époque, la loi sur le prix unique du livre n'existait pas encore.
La Librairie Georges est installée depuis 2002 dans un cadre contemporain, au sein du FORUM DES ARTS & DE LA CULTURE de TALENCE. Elle propose aussi un espace café avec Le café de Georges. C'est un lieu idéal pour créer des événements."
 
 
 
 
La loi qu'évoque Cécile Bory a été initiée par Jack Lang en 1981. Elle a instauré le système du prix unique du livre : chaque livre a un prix fixé  par l'éditeur et ce prix s'impose à tous les détaillants, avec une liberté d'appliquer ou pas 5 % aux particuliers. Dès lors, le prix d'un bouquin sera quasiment  le même qu'on décide de l'acheter en grande surface ou chez son libraire préféré. Chez ce dernier vous aurez même le plaisir d'un conseil personnalisé. Maintenant que vous savez...

 
 
 
Les librairies évoluent
 
L'installation en 2002 de la Librairie Georges au FORUM DES ARTS & DE LA CULTURE de TALENCE, constituait une opportunité à ne pas manquer. Cécile Bory explique :
 
"Il y avait une volonté de nous transformer, d'aménager l'espace, pour répondre à différentes évolutions auxquelles les libraires sont confrontés; à travers les attentes du public, les changements de comportements...
Par exemple auparavant, nous étions une librairie "très universitaire" car les étudiants achetaient beaucoup de livres. Aujourd'hui, les élèves utilisent essentiellement internet. Par conséquent, nos rayons universitaires ont été réduits pour nous permettre de développer la partie Littérature, Jeunesse, BD.
Et puis en déménageant, nous avions la possibilité de créer cet espace Café pour organiser des événements tels que des rencontres avec des auteurs, des débats thématiques, des cafés philo...et d'en faire un lieu convivial. Ainsi, on a gagné une clientèle beaucoup plus diversifiée, plus urbaine aussi...et on a changé notre image de librairie scolaire universitaire. On nous identifie désormais comme une librairie générale.
Cet espace café et les divers événements ont amené un nombre de personnes qui ne seraient pas venues à la librairie spontanément pour acheter un livre. Du coup, ils reviennent. Cela a réellement contribué à élargir le public, la clientèle. A la fidéliser aussi.
Compte-tenu du contexte économique du livre, créer un espace convivial était donc incontournable pour ne pas disparaître."
 
 
Bien plus que l'image d'une librairie générale, la Librairie Georges démontre une vitalité loin de la vision poussiéreuse que l'on pouvait avoir de la petite librairie indépendante de quartier...Notre libraire va même plus loin :
 
"Le libraire est quelqu'un de dynamique. Nous nous avions envie de faire bouger les choses, de favoriser les échanges entre les gens, des discussions. De créer quelque chose de vivant en lien avec la cité, la société, les événements locaux, urbains...Une librairie est un commerce vivant et ouvert à tous. Avec une grande diversité chez nos clients".
 
Et si c'était quelque part un prolongement de l'utilité du livre en lui-même ? Comme un besoin des individus de se retrouver entre eux, de lâcher leur écran d'ordinateur, de partager des choses. Mais aussi de se faire leur propre opinion, d'une façon différente, au regard de la profusion des informations qu'on peut lire sur internet, ou aux discours aseptisés qu'on entend dans d'autres médias...

 
 
 
La vie en numérique
 
 
Et pour être toujours au plus près de son époque, la Librairie Georges c'est aussi un site internet, une page Facebook.
 
"On a un compte Twitter aussi, et on est sur Myspace" s'amuse Cécile Bory. "Le web me permet aussi de regarder ce que les gens écrivent, dans les forums notamment. Certaines réflexions peuvent être très intéressantes pour connaître les attentes des clients. Cela permet de se remettre en question, d'apporter des adaptations pour répondre à ces besoins.
On a plutôt tendance à fonctionner avec le système D, et les réseaux sociaux sont très intéressants pour notre activité. Parce que lorsque je diffuse une information, je vois bien que celle-ci suit son chemin. J'ai remarqué aussi qu'il y a des gens qui ont découvert la librairie par le biais du web.
Dans le contexte actuel, il faut explorer toutes les voies. On est nombreux, il y a de la concurrence, y compris et de plus en plus avec internet. Alors autant utiliser tous les moyens et c'est pour cette raison que j'ai aussi mon site "LibrairieGeorges.com". Lequel était d'abord informatif, et qui est devenu depuis le printemps un site marchand de livres papiers et numériques. Toutes les ventes passent par une plateforme parisienne, et chez Georges on gère les retraits. Ce type de ventes augmente de plus en plus. Le taux de fréquentation du site est en expansion permanente. Si bien que cet été, il y a eu des pics de 400 visites par jour.
Je m'aperçois aussi qu'il y a beaucoup de gens qui visitent notre site internet et qui viennent après en librairie. Il y a donc un réel impact et c'était aussi l'objectif recherché."

 
 
 
La rentrée littéraire
 
On a pu lire ici ou là que 654 romans sortaient à l'occasion de cette rentrée littéraire. Impressionnant ! On a donc questionné notre libraire pour connaître sa façon d'opérer dans le choix des bouquins :
 
"Il existe le système des offices avec lequel on reçoit toutes les nouveautés. On détermine avec les éditeurs les grilles d'office : ainsi on reçoit tant d'exemplaires de chez tel éditeur des nouveautés en littérature, etc...
Au delà de la rentrée littéraire, il y a de toute façon un représentant d'édition qui passe tous les 3 mois pour les 3 mois à venir et qui présente des nouveautés à paraître. Chaque libraire des différents rayons a un rendez-vous au cours duquel on détermine ce qu'il est bon de prendre et en quelle quantité. Bien évidemment les libraires achètent aussi d'autres livres qu'ils découvrent par ailleurs, et qu'ils ont envie de défendre. A nous de convaincre les clients de passer à d'autres livres que ceux du Top ten très médiatisés...
Ce qui est important en terme de gestion, ce sont les livres qui se vendent bien tout au long de l'année, constituant ainsi le fond. Et quand on a décidé qu'un livre était bon en littérature, on le garde pour toujours. Pas seulement le temps d'une rentrée littéraire ou pour 3 mois".
 
Parce qu'au-delà des coups de coeur de nos libraires, ceux-ci doivent être très rigoureux sur la gestion. En clair, s'ils ne vendent pas ils ne font pas rentrer d'argent. Et c'est cet argent là qui permet aux librairies indépendantes de proposer d'autres livres, et de défendre des éditions plus confidentielles, des auteurs plus rares.
Justement, on en a profité pour demander un coup de coeur. Et les libraires de chez Georges ont beaucoup aimé "L'ampleur du saccage" de la jeune Kaoutar Harchi. Le roman vient de paraître chez Actes Sud. L'auteur le présente en vidéo ici :
 

 
Kaoutar Harchi viendra à la rencontre des clients de la librairie Georges au mois de novembre. A suivre...
 
Avant de quitter le brouhaha indistinct d'une librairie en pleine effervescence, on avait aussi très envie de rencontrer Jean-Pierre OHL, libraire chez Georges, dont on a pu apprécier ses présentations de livres lors de rencontres littéraires. Et découvert aussi qu'il était l'auteur de deux romans parus chez Gallimard, dont "Monsieur Dick ou le dixième livre".
Au cours de l'entretien, Jean-Pierre OHL nous révèle la sortie prochaine de son troisième ouvrage : il publie début octobre dans la collection "Folio biographies" de Gallimard, une biographie de Charles Dickens.
Si le moment était peut-être mal choisi entre la rentrée littéraire, rentrée scolaire et universitaire...lorsqu'on demande à Jean-Pierre OHL ses coups de coeur, on ressent de la passion et le voilà qui s'enthousiasme :
 
"Je vais vous en donner deux sans être très original, parce que ces deux livres font l'unanimité, mais de temps en temps il faut bien avouer que l'on est d'accord avec le monde entier...
Côté français il y a "L'art français de la guerre" d'Alexis Jenni qui est un livre très ambitieux. A travers l'itinéraire d'un jeune homme qui rentre dans la résistance, puis devient soldat et part en Indochine et en Algérie, l'auteur décrit l'épopée de toutes les guerres coloniales. Décrivant toutes les atrocités, les cruautés et les questionnements relatifs à cette période. C'est un livre qui émerge par son ambition.
Côté étranger, "Freedom" de Jonathan Franzen est un livre extrêmement agréable à lire. Il brosse le portrait d'une génération d'Américains, la cinquantaine environ. Un ménage à trois. Une femme qui épouse l'homme idéal mais qui néammoins garde le béguin pour l'ami de cet homme idéal. Cet ami est un genre de rock star déjantée, toxico. A côté de ce tableau, il y a aussi une belle analyse des rapports familiaux à travers le fils et la fille de ce couple. "Freedom" se lit un peu comme une sorte de série américaine très haut de gamme. Avec beaucoup d'intelligence et de justesse dans l'observation."
 
 
 
On s'apprête à quitter la Librairie Georges avec notre liste de bouquins qui s'allonge, de références qui valent le détour. Dans la librairie des gourmandises à tous les rayons. Mais on craque sur l'intriguant roman "L'ampleur du saccage" de Kaoutar Harchi, dont on vous parlera peut-être prochainement. Encore que le mieux serait de vous rendre chez la Librairie Georges pour rencontrer l'auteur. Et nul doute que le libraire proche de chez vous puisse vous faire partager d'autres découvertes. 
 
Un grand merci à la Librairie Georges pour son accueil. Son site internet est ici : Librairiegeorges.com
 
 
 
 


18/09/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour